Lecture postcoloniale d'un roman

Il n'est pas toujours facile d'analyser un texte selon un mouvement ou une influence littéraire particulière même lorsque les paramètres d'étude sont donnés. Cette page pourra donc vous servir d'exemple pour l'écriture de vos prochaines analyse postcoloniale de roman québécois.

Jacques Poulin,Volkswagen Blues, Montréal,Éditions Québec/Amérique, 1984

 

Voici quelques repères de lecture pour un retour sur l'analyse proposée
carte postale altérité langage revision de l'histoire intertextualité
écriture

quête de Jack

quête de Pistémine quête sociale conclusion

Ne manquez pas les questions de lecture en fin d'analyse. Êtes-vous un lecteur attentif?



Volkswagen Blues:un roman postcolonial québécois

Le roman Volkswagen Blues a été beaucoup critiqué et étudié par de nombreux auteurs. Cependant personne ne l'a encore abordé comme un roman de type postcolonial. Pourtant les thématiques, les formes et les articulations du texte font un excellent exemple d'écriture postcoloniale. L'analyse que je me propose de faire se déroulera exactement à l'image du récit, soit en trois temps. D'abord, la situation initiale qui provoque l'action, le grand départ et le voyage vers la Grande aventure et, finalement, la chute. Cette étude m'amènera à réviser les concepts de métarécits, de polyphonie et de multiculturalisme afin de souligner le caractère complexe du discours postcolonial du roman.

La carte postale

Le premier grand prétexte de ce récit est la quête du grand frère qui n'a pas donné de nouvelles depuis plus de dix ans. À l'orée de ses quarante ans, Jack, le personnage principal, aboutit à Gaspé d'où lui est parvenue la dernière carte postale de Théo. Il pense et espère y trouver des indices. Il y rencontre plutôt une jeune métisse qui l'aide dans ses recherches et l'accompagnera dans sa quête à travers l'Amérique du Nord.

Les détails ont une importance capitale dans la compréhension de ce roman. Il est donc impératif de s'arrêter à la fameuse carte postale envoyée par Théo plusieurs années auparavant. Sur cette carte est imprimé un texte de Jacques Cartier rapportant l'implantation de la croix à Gaspé au nom du roi de France. Ce texte, en plus de raconter un épisode historique, rapelle la colonialisation du territoire par la France dès 1534. La carte ayant été envoyée par un amateur d'histoire, le lecteur peut soupçonner tout comme Pitsémine que Théo avait une intention bien précise ce jour-là sans pour autant mentionner explicitement laquelle.

Cette carte est certainement l'élément déclencheur du récit. Mais en dehors de la carte, les caractéristiques des deux protagonistes servent de bornes permettant de saisir la pensée du texte et campant les préalables du récit. Jack Waterman est un écrivain peu connu qui souffre d'insatisfaction professionnelle. Il n'aime pas ses propres textes et n'aime pas le genre d'écrivain qu'il est. Sa vie ne correspond pas à son idéal. Sa compagne de voyage, Pitsémine, est une métisse qu'il prend au auto-stop et qui accepte difficlement le caractère hybride de son identité. Tout comme l'homme, elle adore lire et a un point de vue bien particulier sur les livres.

Les deux complices s'embarquent donc ensemble vers Saint-Louis afin de découvrir de nouveaux indices pour retrouver Théo. Ils voyagent dans un véhivule très spécial, très populaire à l'époque des Hippies, un vieux minibus Volkswagen. Le vieux Volks a aussi un curriculum vitae significatif. Avant d'appartenir à Jack, il "avait été acheté en Allemagne; il avait parcouru l'Europe et traversé l'Atlantique sur un cargo, ensuite, il avait voyagé le long de la côte Est, depuis les Provinces Maritimes jusqu'au sud de la Floride", un peu à la manière de la conquête de l'Amérique. Avec la quête de Théo, le véhicule etdes passagers ont traversé tout le continent comme les premiers colons américains. Par le biais de textes d'inspiration historique, ils remontent le temps pour revivre toutes les péripéties de leurs prédécesseurs. Ils font donc le voyage selon deux temps, celui des premiers colons et le leur, celui de la quête de Théo.

L'histoire et la mémoire sont au coeurs du récit mais aussi au centre des préoccupations des deux voyageurs. Ces deux thèmes les accompagneront dans leur démarche vers l'Autre qui commence véritablement lorsqu'il quittent Québec vers Saint-Louis au Missouri et traversent la frontière américaine. Tant au point de vue du récit qu'au point de vue du discours, les thèmes et les formes conduisent à l'élaboration d'un texte potcolonial. J'essaierai donc deprésenter les caractéristiques de manière parrallèle.

Afin de faciliter la compréhension des différentes facettes postcoloniales de ce roman, j'aborderai la partie "voyage" des deux protagonistes selon trois thèmes majeurs reconnus dans la littérature postcoloniale soit la pénétration du territoire de l'Autre, l'incidence de la lecture et de l'écriture sur l'évolution du périple et mes multiples quêtes imbriquées lesune dans les autres qui souligne l'influence de l'altérité sur le développement intérieur des personnages.

L'entreprise de Pitsémine et Jack, en partant pour le Missouri, est bien plus riche en conséquences et en significations que le simple désir de retrouver Théo. Les deux compères quittent Québec vers les États-Unis en ne sachant pas s'ils vont retrouver Théo à Saint-Louis. C'est une forme de conquête d'un territoire inconnu doublée d'une chasse au trésor comparable à celles des épices tant convoitées au temps de Cartier.

Ils ne trouvent pas Théo à Saint-Louis mais tombent sur un filon qui pourrait bien les mener à lui et ce, en empruntant la Piste de l'Oregon. Mais ce périple à travers l'Amérique est aussi un prétexte à l'élaboration d'un décor où les personnages sont confrontés à l'altértié. Ils sont tous les deux francophones et leur anglais est déficient. Le récit rapporte peu d'occasion durant lesquelles les protagonistes sont amenés à s'exprimer dans la langue de l'Autre pour être compris. En fait, la majorité des échanges importants pour leur quête se font en français avec des gens d'origine québécoise ou ayant eu, par le passé, des liens à la France ou au Québec.

L'altérité

En outre, la communication avec l'Autre dans la langue de l'Autre est souvent avortée dans ce roman. À la frontière américaine, Jack est questionné par les douaniers de manière peu aimable. Il finit d'ailleurs par s'enquérir des motifs qui le font pressentir comme suspect et si son métier d'écrivain en était la cause. "No. Because you don't seem to know anything." Ainsi le premier contact avec l'Autre en est un de réglementation et de pouvoir dans lequel l'Autre fait sentir son autorité et son droit d'expulser l'étranger. S'ils partaient à la conquête d'un territoire en conquérant, leur esprit glorieux a été bien vite réprimé.

Puis, comme si cet accueil glacial n'était pas suffisant, la ville de Détroit, première escale en territoire de l'Autre, devient menaçante dès le coucher du soleil."This is rough town. You don't go out on the street after sunset." L'apprentissage du territoire d'autrui se fait dans la crainte. Un climat d'inquiétude que Jack et Pitsémine ne soupçonnaient pas avant et qui leur donne une bien mauvaise impression du territoire exploré. L'Autre n'est pas seulement étranger, il peut également être dangereux et inspire la méfiance.

Ils furent accueillis de manière plus chaleureuse à Chimney Pock où Pitsémine espérait avoir des indices sur Théo. Ils y rencontrèrent la femme d'un bull rider qui avait connu Théo quelques années auparavnt. Elle trouvait d'ailleurs un air de ressemblance entre lesdeux frères et semblait avoir pour le souvenir de Théo une certaine tendresse. La femme leur apprit que Théo avait à l'époque l'intention de poursuivre son chemin sur la Piste de l'Oregon jusqu'à l'embranchement menant d'un côté en Oregon et de l'autre en Californie.

Plus tard, après avoir traversé une longue région désertique, les deux explorateurs ont eu envie d'expérimenter l'accueil chaleureux et légendaire des habitants du far west. "Ils décidèrent de mener une expédition pour parler à quelqu'un". Avant d'être arrive sur le ranch, ils s'imaginent leur accueil selon les meilleurs films western faisant éloge des moeurs cordiaux. "Il paraît que les gens sont très hospitaliers dans l'Ouest. J'ai lu ça dans la documentation du Nevada." Au début du récit, Jack avoue à Pitsémine que tout ce qu'il sait, il l'a appris dans les livre. L'excursion sur un ranch n'a pourtant rien à voir avec ce que disait leguide touristique du Nevada.

En effet, ils ont croisé à l'entrée du domaine un écriteau qui disait: NO TRESPASSING. Ils ont rit du jeu de mots avec"défendu de trépasser" alors qu'ils auraient mieux fait de suivre l'indication puisqu'ils ont été accueillis par "trois chiens, la gueule baveuse, les babines retroussées et les crocs menaçants(...)." Les deux acolytes sont donc repartis,troublés. Jack a même fait un lapsus plein d'ironie:"(...)les gens se sont pas tous des chiens". Leur mouvement vers l'Autre n'a pas été un succès. En réalité, la connaissance de l'Autre dans le récit n'est pas simple et le chemin qui mène à la communication est parsemé d'embûches. L'hôte américain n'accueille pas les deux voyageurs à bras ouverts, exception faite de la femme du bull rider, et seuls les personnages francophones aident à la recherche de Théo. L'expérience de Jack et Pitsémine est rude et les confronte à un passé historique violent dans une contrée peu hospitalière. Leur voyage se fait dans un cadre restreint où ils fréquentent peu les habitants des régions traversées. Chaque mouvement vers l'Autre résulte souvent en un rejet et une incompréhension mutuelle.

Anne Marie Miraglia soutient que "les protagonistes pouliniens peuvent bien prendre la route des États-Unis, mais ils ne le font pas dans le but demieux connaître leurs voisins américians. Dans Volkswagen Blues, le voyage aux États-Unis vise une Amérique française et implique un émigré canadien-français, que celui-ci prenne la forme de Théo/Kerouac, du coureur de bois du XVIIIe ou de l'émigré des XIXe et XXe siècles." Il est alors révélateur que les personnages guides parlent tous français, bien que ce dernier ne soit pas fluide.

Il n'en demeure pas moins que cette pénétration du territoire de l'Autre se fait conjointement avec la prise de conscience de l'existence d'une vision différente de la vie, de moeurs différents et d'un langage étranger. Les personnages sont confrontés à cette différence et doivent composer avec celle-ci. L'univers langagier est en fait, le principal contact avec l'Autre. Le langage, un des thèmes centraux du discours postcolonial, devient alors un outil de conquête et de différenciation.

Le langage

Le langage est un thème récurrent chez Jacques Poulin et ce roman, sans en traiter de manière aussi manifeste que Les Grandes Marées, met plutôt l'accent sur les anglicismes et les interprétations sémantiques de termes anglais. Il est important de relever la présence répétée de termes et d'expressionn anglaises dans le texte. Ces expressions n'ont jamais de traduction puisque la compréhension du lexique utilisé fait partie de l'horizon d'attente du lecteur. Une des particularités du texte postcolonial est que ce dernier allie l'emploi d'un vocabulaire étranger à différents jeux de mots pour multiplier les sens et les jeux de significations. Ce roman par son récit au coeur de l'Amérique jouit d'un cadre spatial et linguistique parfait pour l'introduction de plusieurs jeux de langage utilisant parfois le français mais surtout l'anglais ou l'américain.

Les protagonistes créent entre eux une forme de langage secret où certains mots français ou anglais prennent un sens nouveau et compris d'eux seuls. Selon Bakhtine, un mot peut avoir un sens modifié selon une entente entre les interlocuteurs, voire entre les membres d'une collectivité plus étendue. C'est le cas pour le terme "emprunter"qu'utilise Pitsémine lorsqu'elle subtilise un livre dans une bibliothèque. "Quand il s'agissait de se procurer un livre, elle faisait une distinction entre les librairies et les bibliothèques. Dans les librairies, elle volait les livres sans aucun scrupule, car elle trouvait que laplupart des libraires aimaient plus l'argent que les livres." Dans les bibliothèques, elle les "emprunte" et les retourne par la poste ensuite avec un mot disant qu'elle avait trouvé ce livre dans une toilette, etc. Ainsi, dans cet exemple, le verbe "emprunter" revêt un sens nouveau et crée une complicité entre Jack et Pitsémine.

La présence des mots de l'Autre dans le discours, dans ce cas l'anglais, sert à renforcer l'atmosphère d'étrangeté et de dépaysement des personnages. Outre les extraits de conversations anglaises non traduites, le récit renferme des expressions typiquement américaines qui prennent pour les deux voyageurs un sens privilégié mais distinct de l'original. "(...)elle n'aimait pas l'expression française "accotement mou", mais chaque fois qu'elle voyait Soft shoulder, elle pensait à toutes sortes de choses agréables: la douceur d'une épaule, un endroit où reposer sa tête (...)" Le texte joue sur le sens de l'expression en mettant en parallèle la véritable signification du terme et l'interprétation romancée de la fille qui colle aux mots dans une traduction malhabile de "douce épaule".

Jack utilise aussi cette méthode d'interprétation qui traduit mot à mot les expressions anglaises et crée une traduction amusante. L'inscription lue à haute voix par Jack et aussitôt révisée, NO TRESPASSING, devient une interdiction de mourir ou de trépasser. Ironique lorsqu'on se rapelle qu'ils ont été accueillis par des chiens enragés prêts à les dévorer. Ces deux exemples démontrent que le langage de l'Autre inspire les passagers du vieux Volks vers la romance ou l' insouciante témérité. Mais ce qui est remarquable, c'est qu'ils adoptent toujours une signification imaginaire du terme anglais. Ils s'appropient les termes de l'Autre pour en redéfinir le sens. Sur le territoire de l'Autre, ils révisent leur vision de celui-ci, prennet possession du langage et s'ouvrent à de nouvelles possiblités d'existence, de pensée et d'expression. Ils n'utilisent pas le langage pour mieux comprendre autrui, ils créent une langue à part ,de deuxième niveau, dont eux seuls ont l'intelligence et qui les coupent du monde et, dans ce roman, de l'Autre américain.

Ce périple à travers l'Amérique se fait évidemment au rythme de leurs trouvailles et des indices les menant à Théo. Mais il permet aussi un voyage dans le temps en suivant la Piste de l'Oregon et les amène à partager leurs points de vue sur les événements historiques. Pitsémine, par sa connaissance de l'histoire des Amérindiens et des forts militaires, entraîne Jack dans une remise en question des discours enseignés et des faits racontés sur cette période de colonisation ou d'appropriation du grand territoire américain. Jack remet en question les métarécits dont parle Lyotard car il questionne ses connaissances de l'histoire et la version diffusée. Cette révision de l'histoire américaine s'ajoute aux caractérisiques postcoloniales du roman en impliquant la figure de l'Autre dans l'élaboration de ce questionnement mnémonique.

La revision de l'histoire

Les deux personnages, par leurs identités différentes, peuvent comparer leurs deux visions du monde selon des principes et des idéaux dissemblables. En fait, les deux amis confrontent leur altérité distincte. Pitsémine est celle qui remet toute l'histoire de l'Amérique en question. Cela pousse Jack à lire aussi sur le sujet. La perception de Jack en sera fort ébranlée. "On commence à lire l'histoire de l'Amérique et il y a de la violence partout. On dirait que toute l'Amérique a été construit sur la violence."

De son côté, la jeune femme raconte la colonisation du territoire avant l'arrivée des Blancs, c'est-à-dire selon les traditions amérindiennes et àl'époque de la chasse aux bisons. Elle raconte à son compagnon tous les charmes de la vie selon le respect de la nature. Elle parle des grands guerriers des différentes tribus ,mais elle parle également de leur extermination par les Blancs. Jack finit par s'habituer à ses sorties contre les Blancs et contre les militaires. L'épisode au musée du Fort Laramie où Pitsémine hurle contre une arme automatique illustre d'ailleurs à quel point elle se sent impliquée dans le pasé amérindien de l'Amérique du Nord. Pitsémine prend toute l'histoirede ces peuples à coeur parce qu'elle est de sang mêlé et se sent partagée entre les cultures amérindiennes et occidentales. Pourtant, elle adopte dans ses narrations la seule optique amérindienne bien qu'elle soit en partie québécoise aussi.

Effectivement, elle raconte tous les événements historiques selon sa vision, celle de l'oprimé, celle de l'Améridien chassé de son territoire ancestral par les nouveaux venus, les Blancs. Jack veut également partatger sa passion et ses connaissances du passé en parlant de ses héros, des héros tellement assosiés à Théo qu'ils en sont une véritable personnification. Mais ces derniers ne gardent pas longtemps leur statut puisque leur caractère et leurs erreurs du pasé sont cernées par la jeune métisse, de sorte que les fameux héros deviennent déchus même aux yeux de Jack. C'est le cas d'Éteinne Brûlé contre qui le gardien de sécurité de la bibliothèque de Toronto prononça la première sentence. " Je pense qu'Étienne Brûlé était une bum." Puis, dans un livre que lisait Pitsémine, l'auteur non plus ne semblait pas avoir une très haute opinion du fameux coureur desbois qui passait pour un traître à la nation. La jeune lectrice finit par toucher le point sensible de Jack. "C'est pas Étienne Brûlé que vous cherchez à défendre, c'est votre frère Théo. Vous avez peur que votre frère ait fait quelque chose de mal...mais comme cette idée vous déplaît, vous la refoulez dans votre inconscient et, au lieu de défendre la conduite de votre frère, vous défendez celle d'Étienne Brûlé." En fait, Jack associe gauchement Théo et ses héros d'enfance. Ceux-ci deviennent ensemble une forme d'être supérieur que l'écrivain voudrait intouchable, comme il se représente son frère.

L'histoire des Blancs se modifie dans la pensée de Jack,bien qu'il garde secrètement l'espoir que tout ne soit pas un mirage. "C'était comme si tous les rêves étaient encore possibles. Et pour Jack, dans le plus grand secret de son coeur, c'était comme si tous les héros du passé étaient encore des héros." Lavision de l'histoire s'est modifiée pour Jack et pour Pitsémine parce qu'ensemble ils s'influencent et réalisent certaines erreurs de perception. La pensée colonisatrice que représente l'écrivain est confrontée à celle du colonisé que défend Pitsémine afin de se pencher sur l'histoire enseignée qui est souvent celle qui favorise le colonisateur. La révision de l'histoire permet ainsi une compréhension toute en nuance du passé. Ce faisant, le roman, en tant que texte postcolonial, abat les barrières des dogmes historiques imposés par le colonisateur et invite le lecteur à s'interroger face aux événements réels.

Au sein de leur aventure dans le passé, les deux personnages s'accompagnent d'outil de référence qui parlent autant de la pénétration du continent par les premiers colons que de l'histoire des Amérindiens et des tribus décimées. En fait, chacun lit etraconte ensuite ses lectures à l'autre. Pitsémine a une mémoire extraordinaire des faits et des dates, elle raconte donc plusieurs moments de l'histoire despeuples autochtones et apporte aussi un nouveau point de vue sur l'histoire.

Par exemple, elle raconte à son partenaire l'histoire des Illinois du Rocher, une tribu disparue, exterminée par une autre. Cette histoire est une légende peu connue qui vient compléter la culture de Jack. Pitsémine raconte aussi la chasse aux bisons des Amérindiens dont elle n'approuvait pas toutes les méthodes tout en les comparant ensuite à celles des grands chasseurs européens tels que Buffalo Bill ou le grand-duc Alexis de Russie.

Ainsi, ils voyagent en compagnie de différents écrits que Anne Marie Miraglia a répertoriés selon un dédoublement à la fois géographique, historique et littéraire. Il y a, effectivement, neuf textes historiques qui influencent le déroulement du discours de ce roman. Les multiples références aux intertextes historiques mettent en parallèle trois voyages d'exploration du continent américain. Il y a d'abord le voyage de Pitsémine et de Jack en quête de Théo, il ya également celui des premiers pionniers du XIXe siècle qui cherchaient la terre du bonheur, puis il y a celui de Jacques Cartier et des autres explorateurs français du XVIe siècle qui sont venus découvrir le territoire.

L'intertextualité

Cependant, il y a deux textes qui viendront plus particulièrement alimenter le discours et l'imaginaire de Volkswagen Blues. D'abors,il y a The Oregon Trail Revisited, de Gregory M. Franzwa, une forme de réécrituree d'un journal tenu par le pionnier Francis Parkman et publié en 1847. Il y a ensuite On the Road, le fameux roman de Jack Kerouac, l'idole de Jack Waterman. Les deux écrits sont des ouvrages en possession de Théo lors de son arrestation à Toronto. Ces deux ouvrages leur livrent des indices sur le parcours de Théo et sur la pensée des explorateurs du continent. Ce récit devient même au centre du récit de Poulin à partir du chapitre 19, intitulé "Mourir avec ses rêves". En effet, la lecture et la narration de récit des explorateurs suit le parcours des protagonistes le long de la vieille piste des pionniers. Le rêve d'un monde nouveau des pionniers se dédouble avec celui de Jack et Pitsémine de retrouver Théo, et aussi, de se trouver eux-mêmes. Le thème du rêve prend donc une place bien spécifique dans le déroulement de la narration.

Les deux personnages commencent, à ce moment-là, leur véritable introspection. Plus tôt, Pitsémine expliquait justement toute l'importance du rêve dans une réflexion personnelle. "Les rêves sont comme des îles. Alors on est tout seul quand on rêve et ça ne peut être autrement." Les récits qu'ils font les poussent à se remettre en question en tant qu'écrivain et en tant que métisse.

L'intertexte du roman de Jack Kérouac vient appuyer cette quête d'identité personnelle des deux protagonistes. "On the Road est un des textes qui incite l'auteur québécois Jack Waterman, à prendre la route. Avec Volkswagen Blues, l'œuvre poulinienne franchit les murs du Québec et explore l'Amérique ; la quête du frère ne vise pas tout simplement les rapports humains en Amérique mais, en particulier, les rapports du Québécois avec le Canadien français exilé aux États-Unis ainsi que l'exploration de son américanité, de son appartenance au continent nord-américain : ce voyage à travers l'espace américain rapprochera Jack Waterman de son frère Théo, de son enfance et d'une Amérique d'origine française." Anne Marie Miraglia exprime bien l'incidence du roman kerouacien sur l'action de Volkswagen Blues. "L'esprit de On the Road, son génie pour l'aventure, le risque, le voyage, soutiennent la quête de Théo, un émule de Jack Kerouac, coureur de bois moderne. " En effet, Jack Kerouac est une figure emblématique pour le protagoniste écrivain. Cet auteur allie toutes les qualités que recherche Jack comme écrivain tout en ayant également la bravoure qu'il impute à son grand frère. Autant dans sa quête personnelle que dans son obsession de l'écrit, Waterman alloue une grande place à cet auteur de plusieurs romans d'aventure. L'écriture est au cœur des conflits intérieurs de Jack, elle représente une grande partie de lui-même. Elle jouera donc un rôle important dans l'introspection de Jack que j'étudierai plus loin sous la thématique identitaire si importante dans les écrits postcoloniaux et qui se résout sous le joug de l'altérité.

L'écriture

Mais d'abord, je soulignerai toute la puissance de la figure de l'écrit et de la lecture dans ce roman; des figures permettant l'élaboration d'un discours autoréférentiel trahissant la matérialité du texte qui s'ajoute au contrat postcolonial de repousser les frontières de la tradition littéraire sans néanmoins les transgresser.

Les lectures des deux personnages les accompagnent au cours du voyage à travers l'Amérique mais aussi au cours de leur voyage intérieur où ils apprennent à mieux se connaître et à s'identifier. Ainsi que je le mentionnais, les écrits de Kerouac sont une forme de reflet du discours de Volkswagen Blues tout en établissant avec le personnage Jack une comparaison d'idéalisme. En effet, Jack a une vision très claire de l'écrivain idéal.

Il n'aime pas sa propre façon de travailler. "Il se rangeait parmi ceux qu'il appelait "l'espèce laborieuse" : patient et obstiné mais dépourvu d'inspiration ou même d'impulsions […]. " Pour lui, l'écrivain idéal c'est celui qui est surpris par une idée, une idée qui s'impose et qui grandit, se développe et l'envahit, de sorte que l'écrivain n'a d'autre choix que de l'écrire, de la laisser s'épanouir jusqu'à l'épuisement de ses forces alors que le texte est achevé et que lui, il a tout livré sur papier dans un chef-d'œuvre littéraire. Le roman décrit une scène très dramatique de la vision de Jack qui laisse l'écrivain idéal complètement épuisé après l'écriture de son ouvrage.

L'écriture, je le répète, est au cœur des préoccupations et des insatisfactions personnelles de Jack. Ainsi, il n'est jamais satisfait de ses propres romans dont la première phrase est banale et n'a rien de l'idéal qu'il s'est fixé. "La première phrase, selon lui, devait toujours être une invitation à laquelle personne ne peut résister¾une porte ouverte sur un jardin, le sourire d'une femme dans une ville étrangère. " L'Auteur dans les Grandes Marées, qui travaille à la première phrase de son roman, a la même opinion : Ça ne sert à rien d'aller plus loin si la première phrase n'est pas parfaite. " Jack accorde un pouvoir certain à l'écrit, celui de dépayser le lecteur, de le transporter dans un autre monde. Puis, à l'instar de Teddy, les livres ont aussi une valeur précieuse pour l'écrivain. Ses livres préférés sont pour lui comme de vieux amis qu'il relit souvent entre l'écriture de deux romans. Il parle même de cette période d'angoisse où entre deux créations l'auteur se met à douter de son talent et à remarquer toutes les faiblesses du texte à peine achevé.

L'écriture est pour Jack bien plus qu'un moyen de communication, c'est "plutôt une forme d'exploration. "Il lui accorde cependant une valeur communicative. Il n'y a de meilleurs exemples que la carte de Théo. En effet, Jack pense que peut-être celle-ci était porteuse d'un message important de son frère et qu'il était peut-être alors si pris lui-même dans un roman qu'il n'avait rien vu. La carte postale que son frère lui avait envoyée de Gaspé était une sorte d'appel au secours, un signal de détresse. Mais il n'avait pas compris et ce, pour deux raisons : premièrement, à cette époque il était occupé à écrire un roman, ce qui l'empêchait d'être attentif à ce qui se passait autour de lui ; deuxièmement, Théo avait rendu le message difficile à déchiffrer[…]. L'écriture le coupe du monde comme la traduction le faisait pour Teddy dans Les Grandes Marées.

L'écriture est aussi un phénomène puissant aux yeux de la fille. Pitsémine considère, en effet, que l'expression une image vaut mille mots est erronée. Selon elle, un mot vaut mille images. Il y a dans chaque mot plus de sens contenu et de rapprochements possibles que dans l'agencement des figures d'une image complète. Cette position se rapproche de la pensée de Mikhaïl Bakhtine. En effet, cette perspective assimile à la fois une partie des la notions de plurinliguisme et d'intertextualité. Ainsi, un mot peut s'interpréter sous plusieurs angles et produire des rapprochements de sens multipliés d'où son expression un mot vaut mille images.

En fait, la jeune femme a une vision dialogique de la lecture et jusqu'à un certain point de l'écriture aussi, croyant à une lecture rapprochant autant les intertextes cités dans le texte que les intertextes provenant de la culture générale du lecteur communément appelé l'horizon d'attente. Il ne faut pas juger les livres un par un. Je veux dire : il ne faut pas les voir comme des choses indépendantes. Un livre n'est jamais complet en lui-même; si on veut le comprendre, il faut le mettre en rapport avec d'autres livres, non seulement avec les livres du même auteur, mais aussi avec des livres écrits par d'autres personnes. Ce que l'on croit être un livre n'est la plupart du temps qu'une partie d'un autre livre plus vaste auquel plusieurs auteurs ont collaboré sans le savoir. Pitsémine croit également en l'utilité de la relecture d'un texte. Au contraire de Jack qui préfère garder intact le premier contact à un livre, elle pense qu'une meilleure compréhension nécessite de lire plusieurs fois le même ouvrage. "Qui n'a pas relu, n'a pas lu. " La jeune mécanicienne est une lectrice vorace qui lit beaucoup. Elle croit dans le pouvoir des mots et d'une lecture en profondeur que permet la relecture des écrits.

Le roman Volkswagen Blues allie dans ses personnages un idéal d'écriture et de lecture. En fait, il semble possible que les personnages représentent la vision auctoriale des deux composantes de la création littéraire. J'irais jusqu'à dire que ce roman complète avec raffinement l'idéal de Jacques Poulin esquissé dans Les Grandes Marées.

L'auteur présente par le biais de l'autoréférentialité sa vision de l'écrivain et sa vision du lecteur parfait. En me permettant un rappel du roman analysé précédemment, il est clair que les particularités excessives de minutie et de perfection chez Teddy faisant de lui un excellent traducteur qui démontrait énormément de professionnalisme. Marie est, dans ce roman, la lectrice qui savoure ses lectures de manière à pouvoir les mémoriser, faisant ainsi de ces parties de textes autant d'histoires à raconter comme des métarécits ou des mises en abîme intertextuels.

Le roman Volkswagen Blues présente des personnages plus posés qui affirment leurs idéaux de lecture et d'écriture inscrivant ainsi la pensée de l'auteur dans le discours. En faisant la synthèse des différents indices décelés dans le texte, l'image de l'écrivain idéal est explicite selon le scénario construit par Waterman à ce sujet. L'écrivain idéal ressemble à Jack Kerouac. Pour le protagoniste, ce type d'écrivain est valorisé sur celui auquel il appartient lui-même et surnommé, selon ses termes, "l'espèce laborieuse", un type d'écrivain qui produit sa page quotidienne mais ne peut créer un œuvre en quelques jours sous l'impulsion créatrice comme Kerouac l'a fait pour certains romans.

Le personnage lecteur de ce récit, Pitsémine, valorise une lecture en profondeur qui alloue plein pouvoir aux mots et qui comprend l'écriture et la lecture de manière dialogique. L'auteur donne donc des indices à son lecteur afin que la lecture de son propre récit se fasse selon cette recette. Par le biais de ses personnages fictifs, Jacques Poulin encourage son lectorat à tenir compte des intertextes et à confronter ses lectures passées au roman en cours.

L'autoréférentialité de ce dernier roman repousse les limites de l'illusion référentielle encore plus loin, jusqu'à les faire éclater puisque le discours incite le lecteur réel à adopter une lecture particulière. L'autoreprésentation marquée du roman positionne le lecteur réel dans un contexte singulier où le discours sort de son cadre matériel pour lui faire modifier son comportement original de lecture. Le roman Volkswagen Blues répond ainsi au propre du texte postcolonial qui remanie la tradition littéraire pour lui apporter une dimension nouvelle et ouverte sur le monde.

Volkswagen Blues s'inscrit non seulement par la forte incidence de thématiques comme la révision de l'histoire, l'intertextualité ou l'autoréférentialité du discours, mais aussi par la présence soulignée de la quête chez les protagonistes du récit. Il est notoire que la figure de l'altérité s'insère dans la compréhension des multiples facettes du discours. L'altérité joue un rôle de premier rang dans l'analyse des quatre principales quêtes du récit.

La quête de Jack

La quête initiatrice du récit et de l'aventure de Jack et Pitsémine est bien sûr celle du grand frère. La première étape de mon analyse se porte sur la signification du nom du frère, Théo. Théo est un dérivé de theos en grec qui signifie dieu. Je ne soutiens pas que le personnage de Jack est à la recherche de Dieu lorsqu'il recherche son frère. La signification du nom du frère est à mon sens plus révélatrice de la perception qu'a de ce dernier le protagoniste du texte. Effectivement, Jack idolâtre son frère à l'image de tous ses héros d'enfance. Je rappelle comme exemple la défense d'Étienne Brûlé dont j'ai traité précédemment. Théo est un héros, une légende quasi divine dans le cœur de Jack, d'où l'intérêt du nom du frère.

Le récit parle justement de la propension de Jack à exagérer les exploits de son frère afin d'en faire un personnage de légende qui impressionnerait Pitsémine. Les faits réels ne suffisent pas à dorer l'image de Théo car "tout cela ne tenait pas le coup, alors il en rajoutait." Puis, à force de valoriser son grand frère, Jack ressent le besoin d'être considéré à son tour comme si Théo prenait toute la place. Je suis un champion, moi aussi. Je suis un champion quand il s'agit de me réveiller en pleine nuit, de trouver mes vieilles pantoufles avec le bout de mes pieds, de me rendre à la cuisine dans l'obscurité la plus complète et de me préparer un chocolat chaud SANS MÊME ALLUMER LA LUMIÈRE DU POÊLE.

Cette surévaluation du personnage de Théo révèle, tout comme l'idéal de l'écrivain, une quête d'absolu chez Jack, une quête comparable au grand rêve américain des premiers explorateurs du continent. "Ce que Jack Waterman admire chez son frère, c'est son américanité, c'est-à-dire sa disponibilité, sa vivacité, sa confiance ¾ traits propres aux hommes qui ouvrirent l'Amérique et que Jack Waterman, solitaire timide, ne retrouve pas en lui-même." Ce besoin de perfection dans l'image de son frère témoigne également d'un désir personnel de réalisation chez l'écrivain. Une forme d'identification par alliance à l'héroïsme d'un Théo devenu mythique.

Jack s'explique à ce sujet lorsqu'il raconte ses réflexions personnelles à sa compagne de voyage qui entame alors sa propre introspection. "Mon frère Théo, je ne l'ai pas vu depuis une vingtaine d'années, alors il est à moitié vrai et à moitié inventé. Et s'il y avait une autre moitié… La troisième moitié serait moi-même, c'est-à-dire la partie de moi-même qui a oublié de vivre. " Ainsi Théo est simultanément un amalgame des souhaits des rêves et des idéaux de son cadet.

La première quête est donc intimement liée à la quête personnelle et identitaire de l'écrivain Jack Waterman. D'ailleurs, le romancier justifie la recherche tardive et nébuleuse de son frère par les prémisses d'un retour sur lui-même comme une mise au point égocentrique. "J'ai eu 40 ans la semaine dernière et… Mais non, c'est pas une question d'âge… Il y a des jours où vous avez l'impression que tout s'écroule… en vous et autour de vous. Alors vous vous demandez à quoi vous raccrocher… J'ai pensé à mon frère. " Théo devient une sorte de phare permettant à son frère de faire le point sur ses origines intimes et de se retrouver.

Comme le souligne Anne Marie Miraglia, la quête du frère est associée au grand rêve américain et, également, à la recherche du bonheur. Ces deux thématiques réunissent des thèmes plus particuliers comme l'enfance, l'Amérique francophone et la découverte d'une américanité. Par conséquent, la recherche de son frère engendre chez Jack une quête individuelle qui s'initialise par des souvenirs d'enfance communs et par la rencontre d'écrits historiques remettant en question ses propres croyances. La quête de Théo se déroule conjointement dans le temps et l'espace tout en y joignant la dimension intérieure de l'introspection. Miraglia insiste sur la considération que "le texte semble indiquer que la quête du frère symbolise également l'exploration et la découverte de cette partie de soi-même qui est américaine."

La remise en question de Jack Waterman est autant professionnelle qu'affective puisqu'il avoue à Pitsémine que l'écriture l'a coupé du monde. Premièrement, à l'âge où les gens commencent à vivre pour vrai, je me suis mis à écrire et j'ai toujours continué et, pendant ce temps, la vie a continué elle aussi. Il y a des gens qui disent que l'écriture est une façon de vivre; moi, je pense que c'est aussi une façon de ne pas vivre. Je veux dire : vous vous enfermez dans un livre, dans une histoire, et vous ne faites pas très attention à ce qui se passe autour de vous et un beau jour la personne que vous aimez le plus au monde s'en va avec quelqu'un dont vous n'avez même pas entendu parler. Jack ajoute ensuite qu'il croit n'avoir jamais aimé personne et qu'il ne s'aime pas lui-même. Pitsémine lui demande s'il aime ses livres et il répond par la négative puisque ces derniers ne changent pas le monde ce qui, pour lui, est une nécessité.

La quête de Jack l'amène à apprivoiser le caractère hybride de la situation de l'écrivain québécois qui est à mi-chemin entre la culture française de ses ancêtres colonisateurs et celle de ses voisins américains. C'est pour cette raison que Miraglia parle d'apprentissage de l'américanité dans ce roman. L'américanité qui semble, à la fois, recherchée et crainte. En effet, si le thème fait éloge du rêve de la terre promise, il inclut aussi la violence et l'immoralité du territoire découvert.

Jack, durant son voyage à travers l'Amérique, révise ses opinions et, par conséquent, change. Lorsqu'il rencontre Théo, un vieil homme déchu qui a oublié langue, famille et patrie, l'écrivain réalise que son frère ne peut l'aider dans sa démarche identitaire. Théo a perdu la mémoire et, du fait, son identité profonde. "La perte de ses capacités mnémoniques est ici révélatrice, dans la mesure où la mémoire est traditionnellement garante de la survivance culturelle du Québec dont la devise est, par ailleurs, "Je me souviens". " L'état de Théo décide alors Jack à retourner au Québec. Il a été durement confronté à son américanité sans, pourtant, avoir choisi de l'adopter comme mode de vie, les résultats néfastes chez son frère aîné lui ayant montré les risques d'une telle abnégation culturelle. Il laisse le vieux Volks aux bons soins de Pitsémine qui continuera son chemin dans ce véhicule correspondant bien à son propre nomadisme.

La quête de Pitsémine

La quête identitaire de la jeune métisse se fait parallèlement à celle de Jack durant leur périple. En fait, le questionnement personnel de Pitsémine pousse Jack à s'interroger plus avant sur ses origines historiques et sur les fondements de sa culture. Pitsémine affiche, dès leur première rencontre, une dualité identitaire et culturelle à l'image de sa situation sociale d'exclue. Elle était venue au monde dans une roulotte parce que sa mère, en épousant un Blanc, avait perdu la maison qu'elle possédait sur la réserve de La Romaine; elle avait été expulsée et elle avait perdu son statut d'Indienne. Mais les Blancs, de leur côté, la considéraient toujours comme une Indienne et ils avaient refusé de louer ou de vendre une maison aux nouveaux mariés. Finalement, ses parents avaient acheté une roulotte.

De manière générale, Pitsémine a tendance à adopter et à défendre le point de vue des Amérindiens. Malgré son caractère métisse, elle adhère à la pensée amérindienne. "Moi, je n'ai rien en commun avec les gens qui sont venus chercher de l'or et des épices et un passage vers l'orient. Je suis du côté de ceux qui se sont fait voler leurs terres et leur façon de vivre. " Pourtant, peu à peu, la jeune femme avoue son état incertain qui la fait souffrir. En admirant la ville de Saint-Louis toute illuminée la nuit, elle admet aimer la nature mais aimer aussi certains aspects de la modernité occidentale. "Je suis partagée entre les deux et je sais que ça va durer toujours."

En plus de sa condition hybride, la jeune métisse pratique un métier peu commun chez les femmes selon les préjugés sexistes ou les standards traditionnels. Elle est mécanicienne et c'est à elle qu'incombe de vérifier l'état du vieux véhicule allant jusqu'à nettoyer le filtre de la pompe à essence. Cette anecdote, en plus de susciter chez Jack des écarts de langage, déclarant "que la mécanique était la science de l'avenir et qu'elle était plus importante que la littérature et la philosophie ", met aussi en comparaison le côté "peu viril" de Jack qui n'y connaît rien en mécanique et la débrouillardise d'une fille de camionneur.

Ces différentes considérations témoignent du caractère peu traditionnel du personnage de Pitsémine. Sa situation particulière justifie des actions radicales et osées ayant pour ultime objectif de la réconcilier avec elle-même, de lui permettre de s'assimiler à une seule culture. Pitsémine pense que dormir dans le cimetière de Brandford près du tombeau du vieux chef Thayenganega l'aidera à mieux se situer face à ses origines amérindiennes. Ce cérémonial a été une triste déception pour la jeune femme puisqu'elle a réalisé qu'elle avait perdu confiance dans le chef et qu'il ne pouvait satisfaire ses exigences.

Son identité nébuleuse la fait souffrir car elle ne peut s'identifier à aucune culture, blanche ou amérindienne, en totalité. Pour Pitsémine, cette dualité se traduit par une absente d'identité. Jack a pourtant trouvé les mots justes pour consoler la jeune métisse tout en valorisant l'originalité de sa situation. "Je trouve que vous êtes quelque chose de neuf, quelque chose qui commence. Vous êtes quelque chose qui ne s'est encore jamais vu."

La ville de San Francisco semble être le lieu de prédilection des mélanges de cultures et d'ethnies. Les deux comparses y croisent beaucoup de gens d'origines différentes comme des Chinois, des Allemands, des Français. Cet hétéroclicité de boutiques, de restaurants et de cultures crée un décor tout en couleur qui ne convient pas aux préjugés raciaux. "Ça fait longtemps que je ne me suis pas sentie aussi bien. " En effet, dans un milieu aussi hétérogène et pluriculturel, l'hybridité de Pitsémine perd son aspect sacrilège pour devenir une caractéristique des plus banales.

Dans ce milieu, les deux parties de la jeune femme peuvent se réconcilier sans préjudice racial. Il n'y a donc rien de surprenant à ce qu'elle choisisse d'y demeurer avec le minibus après le départ de Jack. "Elle voulait rester un certain temps à San Francisco : elle pensait que cette ville, où les races semblaient vivre en harmonie, était un bon endroit pour essayer de faire l'unité et de se réconcilier avec elle-même. " À la fin du récit, Pitsémine est sur la bonne voie pour trouver sa véritable identité à mi-chemin entre les cultures québécoise et amérindienne. Je dois absolument mentionner que la valorisation de l'hybridité est une particularité des textes postcoloniaux s'accordant avec la promotion du mélange des cultures, des idées et la confrontation des altérités. Ainsi, l'issue du récit prend, pour Pitsémine, un tournant encourageant, permettant une forme de désaliénation personnelle.

La quête sociale

La dernière quête que j'analyse dans ce roman englobe la dimension sociale du récit. Je traiterai de l'échec du grand rêve américain et de l'identité québécoise en tant que dualité francité et américanité. Cette quête met effectivement en valeur le caractère hybride de l'identité québécoise. D'ailleurs, le grand rêve américain exerce sur Jack Waterman une fascination particulière. L'Amérique! Chaque fois qu'il entendait prononcer ce mot, Jack sentait bouger quelque chose au milieu des brumes qui obscurcissaient son cerveau. […] Il pensait que, dans l'histoire de l'humanité, la découverte de l'Amérique avait été la réalisation d'un vieux rêve. Les historiens disaient que les découvreurs cherchaient des épices, de l'or, un passage vers la Chine, mais Jack n'en croyait rien. Il prétendait que, depuis le commencement du monde, les gens était malheureux parce qu'ils n'arrivaient pas à retrouver le paradis terrestre. Ils avaient gardé dans leur tête l'image d'un pays idéal et ils le cherchaient partout. Et lorsqu'ils avaient trouvé l'Amérique, pour eux, c'était le vieux rêve qui se réalisait et ils allaient être libres et heureux. Ils allaient éviter les erreurs du passé. Ils allaient tout recommencer à neuf.

Comme bien des rêves, le grand rêve de l'Amérique s'est soldé et se solde encore par un cuisant échec. Le roman Volkswagen Blues raconte par le biais des intertextes le rêve des premiers explorateurs et des premiers colons qui ont gagné l'Oregon croyant y trouver une terre meilleure et une vie plus douce. À l'image de leurs prédécesseurs, Théo, Jack et Pitsémine ont traversé aussi le territoire espérant y trouver un monde agréable. Théo a été assimilé par le territoire et y a perdu son identité originelle. Jack et Pitsémine ont été déçus de l'accueil, des mœurs et pratiques des habitants de ce monde bien idéalisé. Ils réalisent que leur rêve n'a rien à voir avec la réalité.

Théo a suivi le même parcours que ceux partis à la conquête d'une Amérique libératrice. Sa dégradation physique et psychologique est également en corrélation avec la dégradation de l'Amérique. Il a évolué selon le même schème de déchéance personnelle et sociale. L'histoire américaine est remplie de violence qui détruit l'illusion d'une terre où l'harmonie régnerait toujours. Théo a commis des délits au cours de sa traversée du continent et son frère est frappé par ses comportements criminels qui n'ont rien à voir avec l'image qu'il s'était forgée de son frère.

Conclusion

Jack choisit de retourner au Québec puisqu'il réalise que l'influence américaine n'a pas que de bons côtés. S'il admet l'incidence de la culture américaine sur sa propre identité culturelle, il refuse de lui accorder toute la place au risque de perdre la qualité de son hybridité identitaire, un mélange de la France, de l'Amérique et du Québec. En fait, si l'écrivain québécois privilégie sa culture française au détriment de son américanité, il risque de sacrifier l'intégrité de son identité personnelle et sociale qui se situe à la jonction des deux mondes. En effet, le roman de Jacques Poulin souligne une problématique culturelle du Québec qui demeure à l'intersection entre une culture française séculaire et, me semble-t-il, l'énigme, voire l'impasse d'une culture américaine.

Jack Waterman, à un point tournant de sa vie, a besoin de connaître son appartenance culturelle mais aussi littéraire qui influencera ses propres créations. Il réalise qu'il subit l'influence des deux milieux. L'identité québécoise, comme le disait si bien l'Auteur dans les Grandes Marées, est une histoire d'entre deux. "Or, nous sommes des Français d'Amérique, ou des Américains d'origine française, si vous aimez mieux. "

Cette dualité identitaire est caractéristique des sociétés postcoloniales comme le Québec. D'un point de vue historique, comme je le mentionne au premier chapitre, le territoire québécois a subi deux régimes colonisateurs, le régime français et le régime anglais une fois que le territoire fut cédé à l'Angleterre. Le Québec, par sa grande concentration de francophone, est longtemps demeuré majoritairement français et, naturellement, a entretenu la culture de la France sans pourtant se fermer aux autres. Le Québec a, d'autre part, subi l'influence de son voisin du sud, un des pays les plus puissants du monde autant au plan politique, économique et artistique. Le cinéma américain pénètre dans les foyers québécois depuis plusieurs décennies déjà et fait connaître ses mœurs et sa mentalité. Cette influence, cette confrontation à l'altérité américaine se révèle dans la littérature québécoise. Il est en effet remarquable comme le mentionne Anne Marie Miraglia que dans Volkswagen Blues, il y ait si peu d'intertextes d'écrits français hormis certaine chanson comme Le temps des cerise ou une allusion rapide au roman Fragiles Lumières de la terre de Gabrielle Roy. Ce roman francophone montre donc l'ampleur de l'influence du corpus littéraire américain sur la création de Poulin.

Le roman Volkswagen Blues est riche en éléments littéraires et sociaux. Il comprend plusieurs caractéristiques structurelles soulignant le postcolonialisme du texte. Jacques Poulin y utilise encore les mêmes procédés littéraires que dans ses autres romans, soit l'intertextualité, la mise en abîme et le métarécit à contenu majoritairement historique permettant une révision du mythe américain. Cette révision de l'histoire si présente dans le récit et dans l'élaboration du discours postcolonial est au centre même du roman par la confrontation des deux altérités en présence, soit le Québécois Jack et la métisse Pitsémine. Puis, il faut absolument souligner la présence marquée du thème de la quête dans ce roman. Il y a de nombreuses quêtes imbriquées les unes dans les autres qui naviguent sur la thématique plus large de l'identité, une thématique reconnue comme récurrente dans les textes postcoloniaux et qui, dans ce roman, s'ouvre vers la polyphonie culturelle ou le pluriculturalisme.

L'analyse de ce dernier roman m'a permis de montrer toutes les facettes et manifestations possibles du postcolonialisme dans un ouvrage contemporain. Ce récit venait compléter avec justesse les éléments de compréhension implantés et relevés dans le premier texte, Les Grandes Marées. Les deux romans ont en commun plusieurs procédés littéraires et des thématiques similaires, bien qu'ils soient développés différemment. De plus, ils permettent de montrer l'importance de la figure de l'Autre dans la compréhension et l'explication autant littéraire que sociale de la pensée postcoloniale. En conclusion, j'établirai avec plus de précision toute l'importance de la figure témoin du postcolonialisme littéraire, l'altérité, et montrerai en quoi celle-ci délimite le postcolonialisme et le postmodernisme.

Questions de lecture 1- Quel est le thème central du roman?
2- Quelle est la problématique de la quête de Pitsémine?


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